一桶水 Yī tǒng shuǐ – La bonbonne d’eau

Au réjouissant chapitre « vivre dans une mégalopole polluée », la qualité de l’air n’est pas la seule à faire l’objet de toutes nos attentions : celle de l’eau fait également partie de notre quotidien. L’eau qui coule de nos robinets ainsi que de ceux des 20 millions de Pékinois n’est en effet pas de première qualité : elle est d’une part sur traitée et d’autre part chargée de menus résidus de plombs et autres sympathiques métaux lourds, selon le caractère plus ou moins vieillissant du réseau d’acheminement qu’elle parcourt. Alors forcément, quand on a une petite soif, on ne se précipite pas sur le robinet.

IMGP6203Pour remédier à ce malencontreux inconvénient, un commerce très florissant a fait son apparition à tous les coins de rues et de hutongs : les échoppes de bonbonnes d’eau propre à la consommation. Chaque foyer est ainsi équipé d’une fontaine et passe régulièrement commande de bonbonnes auprès de son vendeur attitré, qui répond présent 7 jours sur 7, de 7h30 à 19h30, et livre un bidon de 5 litres dans la demi-heure qui suit. Système hyper pratique, hyper efficace (à condition de savoir dire la phrase magique « 我想订一桶水 » Wǒ xiǎng dìng yī tǒng shuǐ, et de savoir prononcer sa propre adresse), qui en viendrait presque à faire oublier que le plus pratique et le plus efficace serait tout de même d’avoir une eau courante potable.

IMGP6849Sans compter que la solution apporte un nouveau problème : quand utiliser la bonbonne et quand ne pas l’utiliser ? En la matière chacun a son credo et semble adopter un modus vivendi dont l’unique légitimité est celle de la bonne conscience qu’il procure. Il y a donc ceux qui boivent l’eau du robinet (quelques Chinois, une expatriée à ma connaissance et les enfants de toutes nationalités confondues à l’heure du bain) ; ceux qui l’utilisent dans la cuisine à toutes les étapes (l’immense majorité des restaurants…) ; ceux qui s’interrogent sur la dangerosité de s’y rincer la bouche ; etc.

À mon arrivée, on m’avait explicitement recommandé d’utiliser exclusivement l’eau de la bonbonne, dès lors qu’elle entrait en contact avec les aliments : eau de cuisson donc, mais aussi de trempage, et même de rinçage des aliments… Inutile de préciser que la personne qui m’avait prodigué ce conseil passe plus régulièrement commande chez le vendeurs de Baozis en bas de la rue que dans la cuisine à préparer de bons petits plats à base de légumes soigneusement rincés. Une telle habitude viendrait en effet quotidiennement à bout de notre bidon de 5 litre. Et à 19 yuans le bidon, sans compter la peine de la commander au téléphone, je me suis rapidement ravisée, et ai tenté d’y voir plus clair en ces eaux troubles.

J’ai donc fini par définir mon propre mode d’emploi de la bonbonne : eau de cuisson pour le riz, les pâtes, les légumes ; eau de rinçage pour tous les aliments susceptibles de l’absorber à cette étape (typiquement le riz), eau de trempage pour les graines (pois chiches, soja…) et, bien sûr, eau de consommation pour le thé, la confection du lait de soja et autres boissons. En ce qui concerne la bouche et les légumes, on rince le tout à l’eau du robinet. Quelques règles bien établies qui me donnent l’illusion de maîtriser un peu mieux les paramètres de notre exposition aux polluants.

Reste que lorsque Jin ayi fait la cuisine, malgré mes recommandations, elle finit inlassablement par recréer son propre mode d’emploi de la bonbonne d’eau, quelque part à mi-chemin entre le sien et le mien… Morale de cette histoire : qu’il s’agisse de l’eau ou de l’air, faire le deuil de maîtriser les paramètres de la pollution dans l’une des villes les plus polluées du monde.

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