龙马精神 Lóngmǎ jīngshén – L’esprit du cheval dragon

IMGP8847Héloïse avait eu très peur de lui sur l’île de Nantes au mois d’août, mais elle a fini par accepter de retourner le voir au site Olympique de Pékin le week-end dernier : le cheval-dragon (龙马 Lóngmǎ), cette créature imaginée et conçue par François Delarozière et la compagnie La Machine dans les ateliers de Nantes. 龙马 Lóngmǎ a fait le voyage (par avion) jusqu’à Pékin pour participer aux célébrations du cinquantième IMGP8856anniversaire des relations franco-chinoise et restera en Chine. Il symbolise assez judicieusement ce cinquantenaire, puisque l’année 1964 (reconnaissance de la République Populaire de Chine par De Gaulle) était l’année du dragon, tandis que l’année en cours est celle du cheval. Au-delà de cette correspondance avec le zodiac chinois, François Delarozière se serait inspiré du mythe de la déesse créatrice 女娲 Nǚwā pour créer le spectacle pékinois :

Depuis le ciel, Nüwa est désireuse de mieux surveiller la terre, c’est pourquoi elle envoie un cheval-dragon pour observer les hommes. Tandis que le cheval dragon descend vers la terre, un trou se crée dans le ciel, laissant s’échapper une araignée qui vient défier le cheval-dragon sur la terre à l’aide des cinq éléments (terre, feu, eau, bois et métal). Les animaux finissent toutefois par se réconcilier, et la terre est apaisée.

Les trois jours de représentation ont donc suivi les trois étapes de cette histoire : l’apparition (premier jour), la lutte (second jour) et la réconciliation (troisième jour). Une araignée géante, qui avait déjà défilé dans les rues de Yokohama et de Liverpool, était venue spécialement pour donner la réplique au cheval-dragon dans cette mise en scène.

L'araignée passe devant la piscine olympique "Watercube" (水立方 Shuǐ lìfāng)

L’araignée passe devant le Watercube (水立方 Shuǐ lìfāng)

Nous avons assisté à l’une des représentations du deuxième jour, lorsque l’araignée s’en prend au cheval-dragon, en déployant ses pattes, en projetant de l’eau et en le menaçant avec des explosions. C’était, de toute évidence, grandiose et magnifique. Cette araignée et ses longues pattes, chacune commandée par un mécanicien ; le regard rouge du Cheval-dragon qui contraste avec l’éclat jaune du bois dans lequel il a été façonné ; les musiciens, perchés à 10 mètres de hauteur sur leurs nacelles, qui accompagnent avec des airs endiablés le combat des deux animaux ; les jets d’eau, la neige artificielle, le feu craché par le dragon… Tout est ici merveilleux, et le plaisir (l’orgueil presque) de retrouver quelque chose de si spécifique à Nantes, ici à Pékin, est jubilatoire.

IMGP8807ciel bleuC’est pourtant bien le souvenir des représentations nantaises qui est venu mitiger mon appréciation. Tandis qu’Héloïse, du haut de ses 4 ans et de son 1,02 mètre, se réjouissait de la présence ostentatoire des ganivelles pour fixer le périmètre de la représentation (tenant ainsi à bonne distance ce terrible cheval-dragon qui lui avait fait faire tant de cauchemars après le spectacle nantais), j’ai éprouvé le sentiment inverse de frustration face à une représentation qui m’a semblé un peu trop distante de son public. Et même une représentation qui allait à l’encontre des principes du théâtre de rue qui sont à l’origine des créatures géantes et merveilleuses des compagnies Royal de Luxe ou La Machine. Tandis qu’à Nantes, les géants font irruption dans la ville, envahissent l’espace public, et viennent à la rencontre des citoyens en réinterprétant de manière ô combien spectaculaire les espaces urbains qu’ils parcourent quotidiennement, à Pékin il fallait se munir d’un billet (certes gratuit) pour pénétrer sur le site Olympique où avait lieu la représentation, passer les contrôles de sécurité, et se contenter d’observer le spectacle derrière les ganivelles. Un spectacle de rue très adapté aux contraintes chinoises donc, excentré, circonscrit et encadré, à l’opposé des manifestations dans le centre-ville de Nantes, où les cortèges de sécurité, bien qu’évidemment présents, font tout pour se faire oublier, se mettant même parfois en mouvement au gré des déplacements des différentes machines et de la foule.
IMGP8793 - CopieCertes, tout est aussi et encore question de proportions : les villes de Nantes (65 km2) et Pékin (3 500 km2 dans les limites du 6ème périphérique) ne sont en aucun point comparables, et là où, à Nantes, la quasi-totalité du centre-ville, des quais de la Fosse à la cathédrale, de la tour LU à la place Viarme, en passant par le cour des 50 otages, était devenue le théâtre de la saga des géants ; à Pékin, la place Tian’anmen serait encore un espace surdimensionné à l’échelle pourtant impressionnante des géants du Royal de Luxe. Mais au-delà de cette question de proportions, c’est bien l’organisation chinoise (en partie nécessaire à la gestion d’une population sans comparaison avec celle des villes d’Europe), qui est responsable du caractère un peu trop figé de cette représentation. À quand les géants à 王府井 Wángfǔjǐng ?

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抓周 Le zhuāzhōu de Gustave

Le mois dernier, Gustave a eu un an : nous avons donc improvisé un déjeuner avec des amis (occidentaux) pour lui permettre de déballer ses cadeaux et de souffler sa toute première bougie en bonne compagnie. Lorsque nous avons parlé de ce grand événement à nos amis chinois, ils se sont empressés de nous féliciter mais aussi et surtout de nous demander si nous avions organisé le 抓周 zhuāzhōu de Gustave.

Lorsqu’ils atteignent le grand âge d’un an (soit un cycle complet : 周 zhōu), il est en effet l’heure pour les petits Chinois de prendre leur avenir en main, en choisissant leur futur métier lors du 抓周 zhuāzhōu. La tradition veut que pour l’aider à faire ce choix, tout comme l’Empereur 孙权 Sūn Quán procéda avec ses petits-fils pour déterminer lequel d’entre eux serait apte à succéder au pouvoir, la famille de l’enfant dispose devant lui une série d’objets symboliques qui, en l’absence de formulation verbale précise de la part du principal intéressé, l’aideront à signifier sinon son plan de carrière, du moins une orientation générale. L’enfant doit ainsi se saisir (抓 zhuā) de l’un ou plusieurs des objets soigneusement sélectionnés par son entourage (il va de soi que l’issue du zhuāzhōu est généralement favorable) en vertu de leur portée symbolique : certains d’entre eux renvoient directement à une fonction (l’épée pour le soldat), d’autres sont associés par homonymie à une aptitude, une prédisposition ou un trait de caractère (ainsi l’oignon 葱 cōng, symbolise-t-il l’intelligence, 聪 cōng).

Cette tradition héritée de la période des trois Royaumes (au IIIème siècle) perdure encore largement aujourd’hui, avec quelques menues adaptations aux temps modernes. Le céleri (芹 qín, homonyme de 勤 qín, travailleur) ; le livre (symbole d’un esprit studieux) ; le sycee (en chinois, 元寶 yuánbǎo, le lingot d’argent utilisé comme monnaie jusqu’au XXème siècle, symbole de richesse) et autres objets traditionnels côtoient ainsi la 红包 hóngbāo (l’enveloppe rouge garnie de billets) ; le stéthoscope ; le téléphone portable ; la souris d’ordinateur ou le microphone…

Nous avons donc confié à 金阿姨 Jin ayi le soin d’organiser cette petite cérémonie, en lui laissant le choix des objets qui détermineraient l’avenir de notre fils. Rien que ça.

Sur le tapis rouge de Gustave figuraient donc :

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bubugaoshengUne pomme (苹果 píngguǒ), symbole de la paix (平安 píng’ān).

Des nouilles, symbole de la longévité.

Des 云片糕 yún piàn gāo : de fins biscuits traditionnels du sud de la Chine, dont la forme rectangulaire et le grand nombre rappellent une volée de marches et l’expression 步步高升 bùbùgāo shēng « gravir les échelons ».

Un carnet et des crayons, apanage de tout écrivain ou érudit qui se respecte.

Et des bonbons (au chocolat, à la crevette), parce que 吃糖很会说话 chī táng hěn huì shuōhuà : manger des bonbons permettrait de parler de nombreuses langues (je mène encore l’enquête à ce sujet).

Zhuazhou2ZhuazhouLe choix fut pondéré.

Après un assez long moment de réflexion, Gustave s’empara d’un crayon et, comme il avait encore une main de libre, il saisit les nouilles (nous avons vérifié, c’est admis dans les règles du zhuāzhōu).

Son destin est ainsi définitivement scellé :

ce sera un vieux lettré.