月子(Yue Zi), le mois de la lune

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Gustave, quelques instants après sa naissance

Aujourd’hui Gustave a un mois. 24 heures après sa naissance, il faisait son premier tour à l’air libre dans la cour de la clinique, à trois jours, il allait chercher sa sœur à la sortie de l’école, et l’accompagnait au matin du quatrième. À cinq jours, il allait chez le photographe pour faire sa toute première photo d’identité, nécessaire à l’établissement du passeport, et le lendemain c’était le premier apéritif chez des amis. À deux semaines il découvrait le bon air de la mer de Noirmoutier, et bientôt il participait à une grande fête de famille, courait la Vendée, le Morbihan et la Touraine : bref, depuis sa naissance, et malgré son jeune âge, Gustave a déjà de nombreuses activités et il rencontre chaque jour de nouvelles personnes.

Quant à moi, je l’accompagne bien évidemment dans toutes ces sorties.

S’il était né en Chine, dans une famille chinoise, son premier mois eût été fort différent, de même que le quotidien de sa mère. Pas de petit tour en dehors de la clinique, pas de sortie à l’école de la grande sœur (pour une autre bonne raison : il n’aurait pas eu de sœur…), ni chez le photographe, et encore moins à l’apéro chez des amis. En fait Gustave et sa maman n’auraient côtoyé que très peu de personnes et n’auraient séjourné que dans deux lieux : celui de la naissance et la maison (quand il ne s’agit pas du même lieu). Surtout la maison.

Avant l’été, notre voisin de palier, que je croisais régulièrement avec sa femme dont le ventre était chaque fois davantage rebondi, m’avait annoncé qu’il était l’heureux papa d’une petite fille. Pourtant, les jours passaient, mais jamais je ne parvenais à apercevoir la maman et le bébé, ni sur le palier, ni dans l’ascenseur, ni dans la cour intérieure, où il faisait pourtant si bon se promener avant les grosses chaleurs de l’été.

Et pour cause, j’ignorais l’existence du 月子( Yue Zi), le mois de la lune. En Chine, c’est le nom de la période du post-partum, qui dure 42 jours et qui s’accompagne de nombreuses croyances et rites, variables selon les régions et les familles et qui, encore aujourd’hui, restent fortement ancrés dans les mœurs chinoises. Pendant cette période, les Chinois considèrent qu’il faut à tout prix préserver la santé de l’enfant et de la mère, dont le 气 (qì), à savoir l’énergie vitale, a été mis à mal pendant l’accouchement. D’ailleurs plus l’accouchement aura été difficile, plus il faudra être vigilant et suivre consciencieusement les rites du mois de la lune.

En tout premier lieu, on accroche un carré d’étoffe rouge à la porte de la maison, à la fois pour signaler l’heureux événement et pour signifier l’interdiction d’entrer. En effet la mère et l’enfant sont soumis à un isolement quasi-total : seul le père et quelques membres de la famille très proche, vivant sous le même toit, sont autorisés à les approcher, en raison de l’extrême fragilité de la mère, dont les pores de la peau sont considérés comme ouverts au maximum durant le post-partum, offrant ainsi une porte d’entrée aux maladies. Il n’est pas rare que les grands-parents ou une tante viennent s’installer dans la maison avant l’accouchement et y restent durant le mois de la lune, voire même jusqu’à un an après l’accouchement… Dans ce milieu fermé, ces membres de la famille vont tout faire pour soulager la jeune mère de toutes les besognes matérielles, et lui laisser loisir de se reposer et de se consacrer au nouveau-né.

L’isolement n’est pas uniquement social : les fenêtres et les ouvertures devront être calfeutrées, afin d’éviter tout courant d’air, potentiellement porteur de forces maléfiques. Le ménage est scrupuleusement fait.

Toujours dans le même but de préserver la mère de toute maladie, elle devra s’abstenir de se laver les cheveux et les pieds durant toute cette période. Dans certaines familles, il est même recommandé de ne pas se laver du tout, afin d’éviter les rhumatismes au cours de la vieillesse. Le port d’un bandeau ou d’un bonnet, et de vêtements chauds, permettra de garder la chaleur du corps et de reconstituer plus rapidement le qì. En dehors du bain traditionnellement donné au bébé à son troisième jour de vie, il en sera de même pour l’enfant.

9a701d99e10d9508ddbbafa8aeb75999_550x700x2Afin de ne pas contrarier l’écoulement du sang, considéré comme impur, et toujours de préserver la chaleur du corps, la mère est soumise à un régime privilégiant les aliments chauds, sucrés et épicés (ce dernier point variant selon les régions de la Chine) : les soupes à base de viande maigre ou de poisson sont particulièrement recommandées, ainsi que les jujubes ; les aliments crus ou froids sont proscrits.

À l’issue du mois de la lune, une fête est organisée et le bébé est présenté à la famille et aux amis les plus proches selon un cérémonial encore très respecté aujourd’hui. Dans certaines minorités, la tête de l’enfant était rasée à cette occasion, et on laissait souvent une mèche de cheveux en bas de la nuque, en signe de lien avec les ancêtres.

Aujourd’hui, et ce particulièrement dans les milieux urbains aisés, tous ces rites ne sont pas systématiquement pratiqués (l’invention du sèche-cheveux a par exemple considérablement amélioré l’hygiène capillaire des jeunes mères), ou bien ils connaissent des adaptations, dont une qui n’est pas étrangère à l’arrivée du capitalisme dans l’Empire du Milieu. Il existe en effet des centres de repos pour jeunes mamans qui, moyennant finances, procurent à la jeune mère et son bébé un cadre de vie en parfait accord avec la tradition chinoise : alitement et repos pour la mère, repas sélectionnés, visites interdites etc.

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Un luxueux centre de repos pour jeunes mamans…

La période du post-partum connaît donc bien évidemment des réalités différentes selon qu’il s’agit d’une famille pékinoise ou d’une minorité ethnique du sud de la Chine, mais que le mois de la lune se déroule à la maison ou dans un centre de repos, avec ou sans lavage de cheveux, il n’en est pas moins scrupuleusement suivi dans toutes les familles chinoises. Lorsqu’avant mon accouchement, j’évoquais avec un Universitaire chinois ma disponibilité dès le mois de novembre après la naissance du bébé, il me demanda très sérieusement de préciser de quelle année je parlais, car il était inconcevable pour lui que ce fût le mois suivant la naissance de mon enfant. De même, alors que j’évoquais avec une amie chinoise notre voyage de retour vers Pékin en avion au cours du mois suivant la naissance, elle me regarda de manière horrifiée en s’exclamant « mais il sera trop petit, il va mourir, et toi tu ne peux pas voyager si tôt ! ». Afin de ne pas contrarier les mœurs chinoises et de nous éviter un épisode comparable à celui de la boîte de nuit, nous avons donc préféré Air France à son concurrent chinois Air China pour notre très prochain voyage de retour à Pékin !

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Un mois!

生孩子Accoucher en Chine (sheng haizi)

chinagirlVoilà une question que nous nous sommes rapidement posée, puisque je suis arrivée enceinte à Pékin. Et comme pour tout le reste, il s’agit d’une source de découvertes, surprises, étonnement voire stupeur !

A Pékin, il existe grosso modo deux, voire trois, façons d’envisager l’accouchement : dans un hôpital chinois, dans un hôpital international ou à la maison.

Nous avons à peine évoqué cette dernière possibilité, l’enthousiasme du père faisant d’une part quelque peu défaut, mais aussi et surtout parce que cela nécessite d’être en parfaite confiance avec la sage-femme qui vient à domicile, ce qui s’avère toujours plus délicat dans un pays étranger, la barrière de la langue venant s’ajouter au lot de complications liées à la recherche d’une telle sage-femme.

maternity leave china_0La plupart des Chinoises donnent quant à elles naissance à leur unique enfant dans les hôpitaux chinois. Là encore, j’avoue avoir rapidement écarté cette possibilité, en me remémorant que la Chine est le pays où l’on pratique le plus de césariennes au monde, et en m’imaginant, à un moment où je serai assez peu disponible pour faire des efforts de compréhension linguistique, en train de tenter de comprendre si l’on allait me proposer/m’imposer ce geste médical et/ou un autre. Il y a des moments où l’on est disposé à prendre le temps de comprendre et de se faire comprendre, il y en a d’autres où cela devient pesant voire pénible. L’accouchement en est évidemment un : la patience, l’envie de découvrir l’autre et sa façon de faire est souvent bien moins présente dès qu’on aborde le domaine de la santé en général. On souhaite simplement que les choses se passent pour le mieux, et l’on n’est pas forcément prêt à tester la méthode locale comme on teste un nouveau plat. Or l’accouchement, qui est un événement hautement culturel, est régi par de nombreux enjeux (politiques, financiers, traditionnels), et la césarienne est une norme en la matière en Chine, notamment en raison de son caractère « moderne ». C’est aussi une façon de fuir la douleur dans un pays où la péridurale est très peu répandue et où le personnel des maternités n’est pas assez nombreux pour assurer un véritable suivi de chaque parturiente (ce qui est aussi valable en France) : évidemment une femme laissée seule, pour peu qu’elle soit clouée sur un lit à cause d’un protocole médical, sera peu encline à supporter la douleur d’un accouchement sans anesthésie. Ainsi, comme en France dans certains établissements, le corps médical incite les femmes à accoucher par césarienne et donc à programmer leur accouchement, car cela facilite l’organisation dans les services, et aussi et surtout car ce geste médical est facturable… Mais les femmes sont de toute manière souvent tout à fait disposées à accepter ce coût (financier et sanitaire) en raison de la forte superstition qui règne en Chine (certaines dates sont très prisées), et parfois même pour anticiper la naissance (avant septembre notamment) afin que l’enfant ne « perde » pas une année scolaire !

landing_bwPour toutes ces raisons, l’immense majorité des expatriés choisit de donner naissance à ses enfants dans un hôpital international. Par hôpital international, il faut comprendre « système à l’américaine » : c’est-à-dire un service ultra médicalisé de grand standing, hygiène irréprochable, matériel moderne, personnel anglophone et ultra-souriant, bref les grands moyens… et les grandes dépenses ! Le coût d’un tel accouchement est élevé. Très élevé. En fait, parmi les plus chers au monde. Pour vous donner une idée, le Beijing united family healthcare hospital, qui « croit que les mères méritent ce qu’il y a de mieux », propose deux formules d’accouchement à la carte : le Vaginal delivery package (forfait accouchement par voie basse) à 56 000 RMB, soit 7 000 €, et le C-Section delivery package (forfait accouchement par césarienne) à 112 000 RMB, soit un peu moins de 14 000 €… Notez bien qu’on peut choisir à l’avance d’accoucher par césarienne (à l’américaine et à la chinoise, donc), mais que si l’on avait choisi d’accoucher par voie basse, et qu’une césarienne s’avère nécessaire, il faut être prêt à débourser le double de la somme initialement prévue… La plupart des expatriés voient une grande partie de ces frais couverts par leur mutuelle, mais encore faut-il en avoir une, et surtout avoir cotisé au moins un an à l’avance, durée de la période de carence : si, comme moi, vous avez le « malheur » ( ???) de ne pas respecter le calendrier des assureurs, vous devrez assumer la totalité des frais de l’accouchement, auxquels il convient d’ajouter ceux du suivi de grossesse (une bagatelle à ce stade). Ce coût est évidemment prohibitif, mais ce qui est aussi très dérangeant, ce sont les conséquences de ce système de santé sur les rapports patients/corps médical, qui prennent rapidement des tournures de rapports clients/marchands. Ou comment un suivi de grossesse et un accouchement, autrement dit un parcours de soins, se transforment en parcours de négociation économique. Certes le personnel est très souriant (c’en est même fatiguant), entièrement dévoué et disponible, mais il faut sans cesse demander les prix,  comprendre pourquoi un soin est proposé: est-ce nécessaire ou est-ce un moyen de faire dépenser davantage d’argent à la patiente/cliente ? Et on en vient à se demander quel est l’intérêt principal : l’argent ou la santé de la mère et de l’enfant? Par ailleurs, moi qui suis une adepte convaincue de la naissance naturelle, je ne me retrouve absolument pas dans un tel système surmédicalisé: demander à accoucher sans péridurale dans un tel contexte, revient à être cataloguée au mieux comme hérétique, au pire comme « pauvre », qui n’a pas les moyens de se payer un soin moderne (les familles riches faisant le choix de la très chic césarienne, cela va de soi)!

Bref, après avoir quelque peu fréquenté l’un de ces hôpitaux dans le cadre du suivi de grossesse, et nous être lassés de devoir toujours négocier les soins à faire ou à ne pas faire (« mais si je vous dis que je sais déjà que j’ai eu la toxoplasmose, non je ne veux pas faire ce test ! »), et de découvrir une facture (salée) toujours différente de celle à laquelle nous nous attendions, nous avons fait le choix d’un accouchement en France. Le lieu de naissance figurant sur le passeport du bébé ne sera donc pas Pékin mais Nantes : un choix moins exotique, mais plus rassurant et bien moins onéreux.

怀孕 La grossesse en Chine

IMGP0173 La maternité étant un événement de la vie hautement culturel, inutile de dire que chaque pays la conçoit à sa manière, ce qui donne parfois lieu à des pratiques extrêmement différentes d’une culture à l’autre. Depuis que mon ventre s’arrondit à Pékin, je ne manque pas de découvrir avec surprise de nouveaux aspects de la culture chinoise en la matière. Le dernier en date, c’était cette semaine, alors que nous nous rendions à une soirée organisée, entre autres par l’association des Italiens de Pékin dans une boîte de nuit. Alors que je passais sans encombre le portique de sécurité (il y en a partout à Pékin, à commencer par l’entrée de chaque bouche de métro), et que nous nous apprêtions à entrer dans le salle, l’agent du premier contrôle s’est déplacée et est venue me voir pour me signifier qu’il y avait un problème avec… mon ventre. J’ai au début naïvement cru qu’il s’agissait d’une simple mise en garde, jusqu’à ce que le second agent de sécurité refuse quant à lui catégoriquement de me laisser passer. S’en est suivie une scène assez comique qui illustre très bien ce en quoi peut consister le choc culturel : d’un côté, les deux agents chinois qui refusaient de me laisser entrer, sans autre argument que celui de mon ventre rebondi, visiblement interdit en ces lieux (mais pourquoi ?) et les italiennes qui, fidèles à leur réputation, se sont emparées de cette affaire en haussant la voix et en expliquant aux agents que j’étais responsable de mes choix, et que si aucun règlement ne stipulait clairement que les lieux étaient interdits aux femmes enceintes, ils devaient me laisser entrer. L’épisode s’est terminé par un compromis pour les deux parties : j’ai dû signer une décharge indiquant que j’assumais l’entière responsabilité d’entrer dans la boîte de nuit « malgré mon état de grossesse ».

spark-fCette discussion avait éveillé quelques craintes : qu’allions-nous trouver dans cette boîte de nuit pékinoise qui puisse être si nocif pour une femme enceinte ?

Rien.

Pas même de la fumée de cigarette, la salle (en partie fumeur) étant visiblement bien ventilée ; le volume de la musique était assez fort, mais rien de choquant, et bien qu’il nous ait fallu une certaine dose de patience pour expliquer au serveur que je souhaitais une boisson sans alcool, et non merci, pas de Red Bull non plus (c’est une boisson énergisante fortement dosée en caféine), il n’y avait visiblement rien de dangereux en ces lieux.

Le problème était ailleurs. En fait ce que nous ignorions, c’est qu’il est culturellement tabou qu’une femme enceinte sorte le soir en Chine. Comme partout ailleurs, la grossesse est en effet considérée comme un moment très particulier où la mère doit prendre soin d’elle et faire attention à son fœtus, mais en Chine, cela s’applique de manière bien plus stricte qu’en France (où l’on aime répéter que la grossesse n’est pas une maladie, et qu’il ne faut donc pas outre-mesure modifier son rythme de vie et ses habitudes). Se mêlent à cela des considérations religieuses et traditionnelles, telles que « une femme enceinte ne doit pas sortir le soir pour éviter les mauvais esprits », sans doute renforcées par la politique de l’enfant unique, qui fait de la grossesse un moment vraiment « unique ».

Et la liste des interdits, recommandations, traditions, superstitions, est longue ! Une bloggeuse les détaille très bien dans un article que j’ai lu d’une traite, et dont je vous livre quelques extraits :

Ce que la future-maman doit faire tout au long des 9 mois de grossesse:

–          Manger de la nourriture appropriée comme de la peau de tofu pour que bébé soit le plus beau

–          Que votre pensée et votre comportement soient irréprochables auquel cas cela risque de nuire à bébé car vos pensées lui sont transmises

–          Lire beaucoup de belles poésies et de littérature pour stimuler intellectuellement le fœtus

–          Porter son « tablier de grossesse »

–          Pas de sexe, abstinence totale durant toute la grossesse.

Ici, pour actualiser cette liste à l’ère du XXIème siècle, j’ajouterais « porter sa ceinture de grossesse anti-radiations » : un bandeau qui empêche les ondes du wifi, du téléphone portable, ou du micro-ondes d’atteindre le fœtus ! (commercialisé en France par la société Belly armor par exemple)

 

Ce que la femme enceinte ne doit pas faire durant la grossesse:

–          Sortir le soir : ça c’est pour que les mauvais esprits ne viennent pas vous rendre visite

–          Visiter des temples : pour éviter que la malchance ne s’abatte sur vous

–          Voir des choses effrayantes : pour ne pas marquer le fœtus

–          faire de la couture sur le lit, pour que le bébé n’ait pas de bec de lièvre

–          Déménager : pour ne pas faire de fausse-couche

–          Planter des clous : pour que le fœtus n’ait pas de tâches de naissance

–          Assister à des funérailles : pour éviter une fausse-couche

Le personnel de la boîte de nuit, malgré l’absence d’un règlement intérieur officiel en la matière, était donc gêné par ma présence qui les mettait face à un interdit culturel (une femme enceinte ne doit pas sortir le soir) et face à un dilemme professionnel : si une femme enceinte ne doit pas sortir le soir, nous risquons d’avoir des ennuis dans l’éventualité où il lui arriverait quelque chose (et de toute évidence, il va lui arriver quelque chose, puisqu’elle est enceinte).