Salade d’algues (海带丝) et de champignons noirs (黑木耳)

Avec la chaleur qui règne en ce moment à Pékin, on apprécie les repas froids, les fruits frais, les salades de crudité. Lors de mes achats de plats mystères à emporter, j’ai découvert une nouvelle façon de cuisiner à la chinoise: les salades de crudité. On peut en effet commander une salade composée sur mesure: il suffit pour cela d’indiquer au serveur les différents ingrédients, présentés dans de très nombreux bacs, et une fois qu’ils sont tous réunis dans le même récipient, on passe à l’étape sauce. Le serveur s’affaire alors autour d’une multitude de petits bacs, ajoute à la préparation une pincée de ceci, une louche de cela (pas loin de dix ou quinze sauces et épices!) mélange, et hop! la salade est prête. À mon premier essai, j’avais indiqué trois différents ingrédients: ce qui me semblait être des haricots plats, des brocolis et des tranches de lotus. Mais lorsque je goûtai à ma salade, les haricots plats me parurent extrêmement savoureux et croquants… Et cette odeur/saveur de Bretagne… C’était en fait des algues! Et c’était très bon. Je décidai donc de pousser un peu plus loin l’expérience “algues en salade”, et avec l’aide de Mary, je fis l’acquisition d’algues sèches, et par la même occasion de champignons secs, qu’il suffit de réhydrater une heure avant de pouvoir les consommer:

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Ces fins brins d’algues appelés 海带丝 (hai dai sì) en chinois, sont en fait du konbu en lamelles, une algue que l’on consomme traditionnellement en Chine et au Japon et qui pousse communément en Bretagne. En France, les adeptes de la cuisine bio la connaissent bien et l’utilisent surtout comme bouillon pour accélérer la cuisson des légumineuses et les rendre plus digestes, mais on peut aussi la consommer telle quelle! Le konbu a une très bonne odeur de la mer, une texture croquante et un goût assez prononcé (même s’il demande à être assaisonné).

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黑木耳Ces gros champignons noirs (黑木耳 hei mu er) sont un classique des quelques plats chinois que l’on sert habituellement en France. Ils n’ont pas un grand intérêt gustatif, mais croquent agréablement en bouche.

On peut par exemple mélanger le konbu et les champignons avec des carottes rapées et assaisonner le tout avec du sésame, de la sauce soja, de l’huile de sésame, du vinaigre à raviolis et du vinaigre de pommes, c’est délicieux (et ça change des carottes vinaigrette).

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这是什么意思?

affiche n°1Comprendre et parler le chinois, c’est toute une affaire: impossible de s’appuyer sur ses connaissances en langues latines ou germaniques, elles ne sont évidemment d’aucune utilité. Mais avec un peu de persévérance, de travail et de patience, on finit par parvenir à se faire comprendre et à saisir quelques informations pragmatiques (on garde les velléités de discours philosophiques pour plus tard). La très grande barrière ne se situe donc pas tant à l’oral qu’à l’écrit… L’opacité de la langue chinoise réside en effet dans ses caractères, si nombreux, si peu familiers à nos yeux, si compliqués à différencier et à mémoriser. On en acquiert bien sûr rapidement quelques uns, comme “entrée” 入口 ou “sortie” 出口, mais c’est un très long processus et, la plupart du temps, on est contraints de regarder, un peu ébaubis, des textes, des affiches, des messages, des pancartes dont on ne comprend strictement rien. Lorsque nous communiquons avec la nounou d’Héloïse par sms, il nous faut parfois faire de longues recherches pour comprendre ce qu’elle veut nous signifier, et nous passons souvent pas loin d’une demi-heure à lui rédiger notre réponse en caractères chinois.

affiche n°2L’opacité de la langue chinoise, cela signifie aussi signer des documents dont on ne comprend pas un traitre mot: lorsque j’ai ouvert mon compte à la Bank of China, j’ai peut-être engagé tout mon patrimoine (un risque somme toute peu élevé) en signant en bas d’une page dont je ne comprenais que les chiffres. Mais surtout, au quotidien, notre incapacité à lire la langue nous place dans de curieuses situations: nous avons en effet régulièrement des informations affichées sur la porte de notre immeuble, voire même directement sur la porte de notre appartement et nous comprenons malheureusement souvent trop tard de quoi il retourne.

coupure eau chaude

Là, en l’occurrence, ça voulait dire “pour cause de travaux de révision des canalisations dans le quartier, vous n’aurez pas d’eau chaude pendant 10 jours”.

Heureusement qu’ici c’est l’été.

(Vous pouvez avoir un aperçu du contenu des affiches en cliquant sur les photos: elle s’ouvriront en grande dimension dans une nouvelle fenêtre)

馅饼 Xianr bing

La cuisine chinoise, et en particulier la cuisine pékinoise, est aussi une cuisine de rue: les petites fourgonnettes de vendeurs de brochettes ou de crêpes chinoises sont nombreux dans les rues, et sont concurrencés par de toutes petites échoppes où l’on peut se fournir sur le pouce en 包子 baozi et 饺子 Jiaozi, ces délicieux raviolis chinois qui patientent dans les paniers vapeurs en répandant un fumet exquis…

Lorsque je vais faire les courses dans le supermarché chinois à côté de chez nous, qui offre un service de restauration à emporter, je ramène systématiquement un nouveau plat ou en-cas mystère à la maison (opération assez aisée, même avec mon vocabulaire chinois limité, puisqu’il suffit d’indiquer l’aliment convoité en disant 这个 (zhe ge): “ça”). Dans un premier temps, j’ai testé les différentes sortes de galettes ou de pains farcis ou non (surprise à chaque fois!), frits ou cuits à la vapeur, et l’une de mes premières découvertes a été cette petite galette fourrée à la ciboule chinoise et à l’œuf, appelée 馅饼 (Xianr bing), que je mange toujours avec délice.

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Il s’agit d’un met simple et sans prétention: la galette est faite à base de farine (麵粉), de sel (盐) et d’eau (水), et la farce est composée de ciboule chinoise (韭菜) et d’œufs battus (鸡蛋). Mais avant d’en savoir autant sur ces fameux 馅饼 xianr bing, il m’aura fallu conduire de longues recherches… Montrer la fameuse galette à ma prof de chinois (et l’ouvrir pour qu’elle voie la farce), lui demander de m’écrire le nom de la galette et du légume inconnu dont elle est farcie en pinyin et en caractères chinois, tenter de retrouver les fameux caractères sur internet (je vous épargne les détails d’une telle recherche, mais ça n’est évidemment pas chose aisée que de retranscrire des caractères chinois sur informatique), et trouver un équivalent français. Heureusement Wikipédia est là, et me permet de passer d’une langue à l’autre afin de vérifier et d’obtenir enfin des informations complètes sur un ingrédient, une herbe, un aliment ou un plat inconnu en France. J’ai même réussi à trouver la recette des 馅饼 sur un site de cuisine chinoise: il me reste encore à la traduire, mais ça, c’est une autre affaire.

ciboule chinoise 2 La fameuse jiǔcài 韭菜, ciboule chinoise, ou “ail plat”: une herbe très parfumée que l’on utilise en grandes quantités dans la cuisine chinoise.

狗狗 Les chien-chiens

Lorsque le régime d’un pays où la propriété d’animaux de compagnie a longtemps été strictement contrôlée  (interdiction d’avoir des chiens ou des chats), autorise sa population à renouer avec nos amis à quatre pattes, ça donne ça:

caniche superma

Les Chinois s’entichent des chiens, qui sont de plus en plus nombreux dans les rues de Pékin, mais fort heureusement, ils ont le sens de la mesure et ne s’en tiennent, dans le centre-ville, qu’à des races de petite taille: Caniches nain, Pékinois, Chihuahuas. En réalité, plus que d’un bon sens inné qui, s’il existait chez les Chinois (et les autres peuples) se vérifierait par l’absence de Hummers ou de 4×4 dans les rues de Pékin (ville plate par excellence), il s’agit d’une politique restrictive (et intelligente, ajouterais-je) qui détermine, en fonction du périmètre d’habitation, les races autorisées et interdites. Imaginez un peu si tous les habitants de Pékin (environ 20 millions) décidaient de devenir les maîtres d’un Labrador ou d’un Husky!

En hiver, les petits chien-chiens pékinois sont toujours habillés (il ne faudrait pas qu’ils prennent froid!), et il existe un véritable marché de la mode pour toutous: robes de princesse et doudounes pour les toutounes, salopettes et costumes divers pour les toutous. Le tout avec simplicité et bon goût, évidemment.

Bonjour, Buongiorno, Hello, 你好 !

jeparlefrançaisLa vie d’expatrié rime toujours avec plurilinguisme, même si l’on observe des degrés d’exposition et de pratiques extrêmement différents d’une personne à l’autre, d’une situation à une autre. En Chine, il n’est absolument pas rare de rencontrer des expatriés qui font le choix de ne pas apprendre le chinois, de s’en tenir à quelques rares expressions (typiquement (nihǎo) : bonjour ; 多少钱? (duō shǎo qián) : combien ça coûte ?; et (xiexie) : merci), même quand ils sont véritablement installés en Chine (avec femme et enfant chinois) ! D’autres prennent des cours de chinois afin de pouvoir communiquer au quotidien et/ou au travail avec les Chinois, mais souvent ils n’apprennent pas à lire et à écrire les caractères chinois, se contentant de maîtriser l’oral et le pinyin (c’est-à-dire la transcription phonétique, alphabétique de la langue chinoise). Les expatriés qui font le choix d’apprendre véritablement le chinois, langue écrite comprise, sont très rares, et c’est bien compréhensible, car cet apprentissage requiert un temps considérable et une passion certaine. L’aptitude à parler chinois chez les expatriés dépend donc largement de deux facteurs : l’investissement dans l’apprentissage de la langue et les relations professionnelles/amicales avec des Chinois : do you speak englishil est en effet tout à fait possible de ne fréquenter quasiment que la communauté d’expatriés, et d’avoir des contacts très limités avec les Chinois, ou de fréquenter des Chinois anglophones. L’anglais est donc parfois davantage parlé par les expatriés que la langue du pays, car il permet de communiquer (de manière plutôt basique) avec plus de personnes : les expatriés provenant d’autres pays et les Chinois qui maîtrisent l’anglais, bien qu’ils ne soient pas très nombreux à Pékin. Tous les expatriés naviguent donc, dans des mesures très différentes, entre leur langue maternelle, la langue du pays et l’anglais.

ciaoDans notre cas, comme nous ne sommes plus à une difficulté près, une quatrième langue vient se greffer à cet ensemble : celle de ma profession et celle dans laquelle je communique avec Héloïse. Ainsi, sans même m’en rendre compte, je manie quotidiennement, à des degrés de maîtrise très différents, quatre langues. Nous parlons français en famille, je parle italien avec Héloïse et utilise cette langue pour mes recherches, je parle un anglais très approximatif avec ma professeure de chinois et avec mes amis, et je bredouille mes premières phrases en chinois avec les Chinois que je côtoie dans mes activités quotidiennes.

Mais ce qui est passionnant à observer, c’est la manière dont un enfant réagit dans ce grand bouillon linguistique. Les tout-petits et les très jeunes enfants ont cette chance incroyable de ne pas devoir apprendre, au sens littéral, les langues : ils enregistrent les sons, les mots, les significations, et l’apprentissage de la langue/des langues se fait de manière inconsciente, là où les adultes sont plus ou moins contraints, à un moment donné, de prendre des cours, et en tout cas de fournir un réel effort pour s’approprier une nouvelle langue. Après un certain temps de latence, où l’enfant est donc en contact avec sa langue maternelle (ou ses langues maternelles), et éventuellement une tierce langue, il commence à parler. Lorsqu’il entend quotidiennement deux ou trois langues, il commence souvent à parler un peu plus tard, fait des mélanges, et possède un vocabulaire moins riche que celui de l’enfant unilingue, mais il rattrape rapidement ce léger retard et bientôt il parle deux ou plusieurs langues.

Avant de venir vivre à Pékin, Héloïse vivait dans un cadre bilingue : elle parlait italien avec son papa, sa nonna et moi, et français à la maison, à la crèche et dans toutes les autres situations de la vie courante. On conseille habituellement aux parents d’enfants bilingues d’appliquer une règle simple pour l’apprentissage de deux langues : chaque parent/référent parle uniquement sa langue maternelle, ce qui simplifierait la tâche de l’enfant dans la différenciation des deux langues et leur utilisation. Mais il faut garder à l’esprit que cette répartition ne garantit en rien un apprentissage équivalent des deux langues : la langue de la mère est en effet généralement prédominante, tandis que la langue du pays dans lequel vit l’enfant aura elle-aussi un rôle crucial quand l’enfant ira à la crèche ou à l’école notamment. Tenant compte de tous ces facteurs, j’ai fait le choix de m’adresser à Héloïse aussi bien en français qu’en italien, mais en appliquant un principe strict et simple : je lui parle en italien lorsque nous sommes seules ou dans un contexte italophone et j’utilise le français ni haodans un contexte francophone. Grâce à cet arrangement et au temps passé avec son père et sa nonna, à son arrivée en Chine, Héloïse maîtrisait aussi bien le français que l’italien. Elle doit désormais compter une troisième langue à son quotidien : le chinois, qui est la langue de communication principale dans la crèche qu’elle fréquente à Pékin. Elle passe en effet ses journées dans une structure franco-chinoise, où les enfants (français) sont gardés par un personnel exclusivement chinois, qui ne parle que chinois. Depuis trois mois, elle entend donc quotidiennement parler chinois, et elle doit se faire comprendre par des personnes qui ne maîtrisent ni le français ni l’italien. Il est très difficile d’imaginer ce qu’elle peut comprendre et même ce qu’elle est capable de dire en chinois aujourd’hui, car elle n’a pas de raison d’utiliser cette langue à la maison, et pourtant, les premiers mots chinois d’Héloïse font depuis peu leur apparition chez nous ! En dehors des mots que nous lui avons-nous-mêmes enseignés, tels que « bonjour » , « merci » , elle utilise désormais le vocabulaire qu’elle a appris toute seule. Il s’agit de peu d’expressions, mais qui font toujours leur effet de surprise et qu’il faut à chaque fois deviner. Ses tous premiers mots chinois, Héloïse les a prononcés alors qu’elle assistait à une discussion familiale disons quelque peu animée : 不可以! (bu kěyǐ !), que l’on pourrait traduire par « assez !», ou « stop !», « arrêtez !». Quand elle m’appelle pour que je l’aide à descendre des toilettes, elle utilise parfois 好了 (hǎo le) : « c’est bon », « c’est fait », « j’ai fini ». Elle compte aussi parfois en chinois (avec plus de succès qu’en français et en italien, si l’on s’en tient à l’ordre numérique) : 一二三(yi, èr, san, sì) « un, deux, trois, quatre » ; et hier soir, alors qu’elle venait de m’appeler pour que je l’accompagne aux toilettes, elle a finalement rebroussé chemin et m’a dit : 没有了 (méi yǒu le) « c’est passé », « je n’ai plus envie ». Ses progrès sont très étonnants pour moi, car elle maîtrise des structures que moi-même (riche de mes 4 à 6 heures hebdomadaires de cours de chinois) je ne connais pas toujours, et cet apprentissage est amené à se poursuivre de manière exponentielle, puisqu’Héloïse ira à l’école chinoise pendant presque un an. Toutefois, je doute qu’une fois rentrés en France, elle conserve ces acquisitions, car elle n’aura pas d’occasions de continuer à utiliser le chinois au quotidien : elle connaîtra sans doute des facilités dans son apprentissage si un jour elle souhaite renouer avec cette langue dans sa scolarité (au collège, au lycée ou à l’université), mais elle oubliera vraisemblablement à peu près tout entre-temps…

Et le bébé ? Il est difficile de dire ce qu’il retirera quant à lui (qui n’est pas même né !) de cette expérience. Il ne parlera pas chinois, car nous aurons vraisemblablement quitté la Chine avant qu’il ne commence à parler. Pourtant, il va bel et bien acquérir des éléments de la langue chinoise, car il passera la première année de sa vie au contact de cette langue : nous avons effectivement l’intention d’engager une ayi à plein temps pour s’occuper de la maison et du bébé quand je souhaiterai sortir, reprendre les cours de chinois et mes activités universitaires. Il entendra donc quotidiennement parler chinois, ce qui devrait lui permettre d’acquérir la distinction des phonèmes de cette langue, c’est à dire qu’il pourra entendre et reconnaître tous les sons du chinois. Ça n’a l’air de rien, mais c’est déjà quelque chose de très précieux. Les nouveau-nés ont la capacité d’entendre tous les sons de n’importe quelle langue : au fur et à mesure qu’ils grandissent, ils vont sélectionner les sons de la ou des langues avec laquelle/lesquelles ils sont en contact, et parallèlement progressivement perdre leur capacité à entendre les phonèmes des autres langues. Voilà pourquoi par exemple les Espagnols ont autant de mal à prononcer le son « ve » : ils n’entendent tout simplement pas la différence entre « be » et « ve », car elle n’existe pas dans leur langue, et il leur faut donc tout d’abord éduquer leur oreille à les distinguer, puis leur bouche à prononcer le son inconnu. De même, quand nous imitons les Chinois, nous répétons de manière un peu moqueuse trois ou quatre syllabes, toujours les mêmes, persuadés que nous sommes que cette langue ne contient que des « ta » des « ping » et des « cho » : la réalité est ô combien plus complexe, et je désespère de saisir un jour du premier coup ce que ma professeure de chinois me dit. Il me faut fournir un effort de concentration incroyable pour distinguer les mots, qui sont naturellement très différents pour elle, et qui ont la pénible tendance à tous se ressembler pour moi. Ces sons seront en revanche naturellement familiers pour le bébé, mais conservera-t-il cette oreille ? Certaines études tendent à affirmer que c’est le cas, que des nouveau-nés adoptés et coupés de la culture et de la langue de leur mère biologique reproduisent dans leurs babillages et dans leurs premiers mots des sons qu’ils avaient entendus dans le ventre de leur mère et qui n’existent pas dans leur nouvel environnement… (je lui souhaite pour l’heure de ne pas trop m’écouter quand je mutile la langue chinoise). Affaire à suivre !

 

怀孕 La grossesse en Chine

IMGP0173 La maternité étant un événement de la vie hautement culturel, inutile de dire que chaque pays la conçoit à sa manière, ce qui donne parfois lieu à des pratiques extrêmement différentes d’une culture à l’autre. Depuis que mon ventre s’arrondit à Pékin, je ne manque pas de découvrir avec surprise de nouveaux aspects de la culture chinoise en la matière. Le dernier en date, c’était cette semaine, alors que nous nous rendions à une soirée organisée, entre autres par l’association des Italiens de Pékin dans une boîte de nuit. Alors que je passais sans encombre le portique de sécurité (il y en a partout à Pékin, à commencer par l’entrée de chaque bouche de métro), et que nous nous apprêtions à entrer dans le salle, l’agent du premier contrôle s’est déplacée et est venue me voir pour me signifier qu’il y avait un problème avec… mon ventre. J’ai au début naïvement cru qu’il s’agissait d’une simple mise en garde, jusqu’à ce que le second agent de sécurité refuse quant à lui catégoriquement de me laisser passer. S’en est suivie une scène assez comique qui illustre très bien ce en quoi peut consister le choc culturel : d’un côté, les deux agents chinois qui refusaient de me laisser entrer, sans autre argument que celui de mon ventre rebondi, visiblement interdit en ces lieux (mais pourquoi ?) et les italiennes qui, fidèles à leur réputation, se sont emparées de cette affaire en haussant la voix et en expliquant aux agents que j’étais responsable de mes choix, et que si aucun règlement ne stipulait clairement que les lieux étaient interdits aux femmes enceintes, ils devaient me laisser entrer. L’épisode s’est terminé par un compromis pour les deux parties : j’ai dû signer une décharge indiquant que j’assumais l’entière responsabilité d’entrer dans la boîte de nuit « malgré mon état de grossesse ».

spark-fCette discussion avait éveillé quelques craintes : qu’allions-nous trouver dans cette boîte de nuit pékinoise qui puisse être si nocif pour une femme enceinte ?

Rien.

Pas même de la fumée de cigarette, la salle (en partie fumeur) étant visiblement bien ventilée ; le volume de la musique était assez fort, mais rien de choquant, et bien qu’il nous ait fallu une certaine dose de patience pour expliquer au serveur que je souhaitais une boisson sans alcool, et non merci, pas de Red Bull non plus (c’est une boisson énergisante fortement dosée en caféine), il n’y avait visiblement rien de dangereux en ces lieux.

Le problème était ailleurs. En fait ce que nous ignorions, c’est qu’il est culturellement tabou qu’une femme enceinte sorte le soir en Chine. Comme partout ailleurs, la grossesse est en effet considérée comme un moment très particulier où la mère doit prendre soin d’elle et faire attention à son fœtus, mais en Chine, cela s’applique de manière bien plus stricte qu’en France (où l’on aime répéter que la grossesse n’est pas une maladie, et qu’il ne faut donc pas outre-mesure modifier son rythme de vie et ses habitudes). Se mêlent à cela des considérations religieuses et traditionnelles, telles que « une femme enceinte ne doit pas sortir le soir pour éviter les mauvais esprits », sans doute renforcées par la politique de l’enfant unique, qui fait de la grossesse un moment vraiment « unique ».

Et la liste des interdits, recommandations, traditions, superstitions, est longue ! Une bloggeuse les détaille très bien dans un article que j’ai lu d’une traite, et dont je vous livre quelques extraits :

Ce que la future-maman doit faire tout au long des 9 mois de grossesse:

–          Manger de la nourriture appropriée comme de la peau de tofu pour que bébé soit le plus beau

–          Que votre pensée et votre comportement soient irréprochables auquel cas cela risque de nuire à bébé car vos pensées lui sont transmises

–          Lire beaucoup de belles poésies et de littérature pour stimuler intellectuellement le fœtus

–          Porter son « tablier de grossesse »

–          Pas de sexe, abstinence totale durant toute la grossesse.

Ici, pour actualiser cette liste à l’ère du XXIème siècle, j’ajouterais « porter sa ceinture de grossesse anti-radiations » : un bandeau qui empêche les ondes du wifi, du téléphone portable, ou du micro-ondes d’atteindre le fœtus ! (commercialisé en France par la société Belly armor par exemple)

 

Ce que la femme enceinte ne doit pas faire durant la grossesse:

–          Sortir le soir : ça c’est pour que les mauvais esprits ne viennent pas vous rendre visite

–          Visiter des temples : pour éviter que la malchance ne s’abatte sur vous

–          Voir des choses effrayantes : pour ne pas marquer le fœtus

–          faire de la couture sur le lit, pour que le bébé n’ait pas de bec de lièvre

–          Déménager : pour ne pas faire de fausse-couche

–          Planter des clous : pour que le fœtus n’ait pas de tâches de naissance

–          Assister à des funérailles : pour éviter une fausse-couche

Le personnel de la boîte de nuit, malgré l’absence d’un règlement intérieur officiel en la matière, était donc gêné par ma présence qui les mettait face à un interdit culturel (une femme enceinte ne doit pas sortir le soir) et face à un dilemme professionnel : si une femme enceinte ne doit pas sortir le soir, nous risquons d’avoir des ennuis dans l’éventualité où il lui arriverait quelque chose (et de toute évidence, il va lui arriver quelque chose, puisqu’elle est enceinte).