法语,意大利语,汉语 fǎyǔ, yìdàlìyǔ, hànyǔ – Français, italien, chinois !

Il y a un an et demi, je découvrais les enjeux du trilinguisme pour Héloïse, j’écoutais ses tout premiers mots chinois et je m’interrogeais sur sa capacité présente et future à parler cette langue. On peut dire que les choses ont bien changé depuis, puisque je passe désormais mon temps à tenter de déchiffrer les formidables discours que, pipelette et plutôt extravertie, elle ne manque pas d’adresser à tous les Chinois qu’elle rencontre.

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La cage d’escalier de l’école d’Héloïse.

Cela fait en effet maintenant un an qu’Héloïse est entrée à l’école maternelle chinoise, et le chinois a donc pris une place prédominante dans son emploi du temps de petite écolière. En décortiquant de façon sommaire ses journées de semaine et de fin de semaine, j’ai découvert que son exposition à la langue chinoise est plus importante que le temps qu’elle passe à interagir en français et en italien. En semaine, Héloïse parle italien (avec moi) et français (avec son beau-père) le matin avant d’aller à l’école (entre 7h et 9h) ; à l’école, elle parle chinois de 9h à 17h (et apprend des rudiments d’anglais avec la lectrice) ; à son retour à la maison, elle parle italien de 17h à 20h. Le week-end, elle parle principalement français et italien, mais elle a toujours l’occasion d’utiliser le chinois : dans la rue, avec ses amis chinois ou avec Jinayi lorsqu’elle vient à la maison. De manière un peu schématique, en considérant qu’elle est éveillée 13h par jour, moins la sieste d’une heure en milieu de journée, on pourrait donc estimer que chaque semaine, Héloïse pratique le français pendant environ 19h, l’italien 30h, et le chinois 35h. Cela reste un décompte très arbitraire, qui ne reflète pas exactement la réalité (notamment les situations de bilinguisme ou trilinguisme, et le cas particulier des vacances), mais ça donne tout de même une bonne idée du bain linguistique dans lequel Héloïse est principalement immergée !

Et les bénéfices après un an passé à ce régime sont impressionnants : 艾洛伊 parle chinois. Mes propres cours et mes maigres progrès en chinois me permettent d’apprécier son niveau de langue (bien meilleur que le mien, évidemment). Un niveau certes limité, notamment en ce qui concerne le vocabulaire : il est assez pauvre et pour pallier à ses lacunes elle est forcée d’user et d’abuser de périphrases, de gesticulations et d’onomatopées. Elle fait aussi certaines erreurs grossières, confondant par exemple 学校 xuéxiào, l’école, avec 睡觉 shuìjiào, dormir : il s’agit en réalité des tout premiers mots qu’elle a appris à son arrivée en Chine et dont l’acquisition erronée s’est fossilisée dans le temps. Mais elle maîtrise des tournures grammaticales assez complexes, très différentes du français et de l’italien ; elle est capable de faire un récit ; et surtout, elle s’exprime avec fluidité dans un pur accent pékinois.

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En outre, contrairement au français et à l’italien, Héloïse possède aussi quelques rudiments d’écrit en chinois. Alors qu’elle reconnait à peine les lettres H (l’initiale de son prénom) et G (celle du prénom de son frère), elle maîtrise parfaitement la lecture d’une vingtaine de caractères, dont : 小, 大, 水, 火, 雨, 风, 山, 月, 日, 马, 猫, 羊, 牛, 耳, 手, 口, 看, 女 et les très faciles 一, 二, 三. Car la langue chinoise a beau être, in fine, le système linguistique le plus coûteux (en terme d’apprentissage, c’est un travail infini de maîtriser tous les idéogrammes, alors que la connaissance des 24 lettres de l’alphabet permet de lire n’importe quel mot d’une langue donnée), elle a paradoxalement cette caractéristique extraordinaire d’être à la portée de chacun et même des enfants : aucun apprentissage préalable n’est requis pour initier la lecture des idéogrammes.

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Caractères chinois affichés dans les couloirs de l’école d’Héloïse.

Lorsque nous sommes arrivés à Pékin, Héloïse avait trois ans et maîtrisait de manière comparable le français et l’italien. Deux ans après, elle peut soutenir une conversation en utilisant trois langues et en passant de l’une à l’autre sans aucune difficulté, avec la même aisance. C’est ce que je trouve de plus fascinant : cette gymnastique totalement spontanée qu’elle met en œuvre dès qu’elle se trouve en présence de locuteurs des différentes langues et qui donne lieu à des énoncés tels que :

金阿姨,小弟弟吃了吗 ? (Jin ayi, est-ce que mon petit frère a mangé ?)
我很饿. 我要饼干. (J’ai faim. Je veux un gâteau.)
Mamma, mi dai un biscotto ? (Maman, tu me donnes un gâteau ?)
是我的, 是我的 ! 妈妈你不给他 ! (C’est à moi, c’est à moi ! Maman tu lui donnes pas !)
不可以 ! (Non ! ) Non Gustave tu touches pas à mon gâteau !

On croirait que c’est un jeu aléatoire, mais le choix de chaque langue obéit à deux critères facilement identifiables : en premier lieu, naturellement, la langue de la personne à laquelle elle s’adresse, mais elle prend aussi compte en second lieu du contexte et de la capacité de ceux qui l’entourent à comprendre les autres langues. Ainsi, en règle générale, Héloïse s’adresse à moi en italien, mais elle aura tendance à me parler en français dans un contexte français. De la même manière, elle s’adresse aussi parfois à moi en chinois en présence de Jinayi, afin de ne pas l’exclure de la conversation, et pour cette même raison il lui arrive de traduire mes propos à Jinayi. Lorsqu’elle joue seule, selon le scénario qu’elle invente pour animer ses jouets, elle choisit le français (intrigues à forte teneur en réprimandes parentales), l’italien (version commedia dell’arte), ou le chinois (péripéties de type scolaire).

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小金鱼逃走了! xiǎo jīnyú táo zǒu le ! Le petit poisson rouge s’est échappé ! Premier essai d’écriture d’Héloïse.

Cependant ces connaissances sont aussi très fragiles : chaque retour en France semble rimer avec un retour à zéro. Après deux mois d’été passés loin de la Chine, Héloïse oublie comment dire 你好. Inversement, chaque jour passé sur le sol chinois lui permet de retrouver les mots oubliés. La mémoire a une élasticité surprenante, elle est capable de se mettre complètement en veille lorsqu’un savoir n’est plus utile, et peut vice versa se réactiver très rapidement dès lors que ces connaissances sont à nouveau nécessaires au quotidien. J’imagine donc qu’à notre retour définitif en France, elle oubliera complètement le chinois, mais, dans une perspective à long terme, si elle souhaite un jour en reprendre l’étude au cours de sa scolarité, cet apprentissage devrait être pour elle un jeu d’enfant.

Si le bilan de notre expérience chinoise s’avère fructueux d’un point de vue linguistique, j’ajouterais toutefois que tout n’est pas si rose au pays du multilinguisme. Le chemin pour parvenir à ce résultat fut même parfois douloureux. La confrontation dès son plus jeune âge à plusieurs langues demande à un enfant un travail d’assimilation plus important que dans un cadre monolingue, travail qui occasionne souvent un retard linguistique passager et s’accompagne parfois de violence : quand les mots manquent, quand on ne peut pas exprimer ses sentiments, en particulier la colère et la frustration, ces dernières peuvent se manifester physiquement. La rentrée d’Héloïse à l’école maternelle chinoise fut un moment particulièrement difficile : pendant un mois elle refusa de participer à toutes les activités, de jouer avec les autres enfants, de se nourrir et même d’aller aux toilettes. Et si les adultes qui la connaissent sont souvent émerveillés par sa maîtrise de trois langues, il n’en est pas toujours de même pour les enfants : aux yeux de certains petits Français, c’est une petite fille « bizarre » parce que son français est ponctué de nombreux italianismes (« c’est ma mère qui me l’a régalé ») et de quelques étranges expressions chinoises.

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Il n’est jamais trop tôt pour commencer l’apprentissage du chinois.

Et Gustave dans tout ça ? Il est grosso modo soumis au même régime linguistique qu’Héloïse : italien et français avec moi, français avec son père et chinois toute la journée avec Jinayi. En l’absence de réponse de la part de son frère, Héloïse semble quant à elle indécise en ce qui concerne le choix de la langue à utiliser avec lui. Elle lui parle donc tour à tour, selon le contexte, français, italien et chinois. Pour l’heure, du haut de sa première année, Gustave prononce fièrement « mama » et « papa », et cache bien son jeu puisqu’il nous est impossible de savoir s’il s’agit des termes français « maman » et « papa », de « mamma » et « papà » en italien, ou de 妈妈 māmā et 爸爸 bàba en chinois. Une chose est sûre, dès qu’il voit quelqu’un enfiler un manteau et se diriger vers la porte, il dit 拜拜 bàibài pour « au revoir » (un anglicisme, certes, mais du chinois tout de même). La date de notre retour approchant à grands pas, voilà qui constituera sans doute l’intégralité de son lexique chinois !

4 thoughts on “法语,意大利语,汉语 fǎyǔ, yìdàlìyǔ, hànyǔ – Français, italien, chinois !

  1. Votre dernier post sur le multilinguisme m’a beaucoup amusé. Vous semblez donc être Italienne… Cela ne transparaît pas de vos autres post tant vous maîtrisez le français et la culture française ainsi que les nuances de la vision “bobo” des choses :-)) ! Il est dommage que vous partiez bientôt de Chine car votre blog est très agréable et enrichissant! Vous avez une belle plume, il faudra continuer à écrire …
    Merci également pour les précisions sur le crapaud a trois pattes sur lequel j’ai fait des recherches des dernières années
    Cordialement
    Jean-Sébastien

    • Merci pour tous ces encouragements! Pour la petite histoire, je ne suis pas italienne, mais j’ai vécu en Italie et l’italien qui était ma passion est devenu mon métier. Je parle par ailleurs italien avec ma fille car c’est la langue de son père.
      Mais parlons de choses sérieuses: les recherches sur le crapaud à trois pattes, voilà qui m’intéresse! Vous avez vécu en Chine? Comment en êtes-vous venu à vous passionner pour ce sujet?
      Cordialement,
      Estelle

  2. Pingback: Bonjour, Buongiorno, Hello, 你好 ! | Pékin, lost in translation

  3. Si cela est possible donnez-moi une adresse mail sur mon email et je répondrai volontiers a cette question !
    Cordialement,
    Jean-Sébastien

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